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De notre correspondant à
Eschau, Philippe DELECOLLE
Le Concordat, le droit local
alsacien mosellan et la laïcité, Un mariage à
3 ? - 11 juin 2014
Jai le sentiment profond que ces notions de
Concordat et de droit local, sinon même de laïcité,
sont profondément méconnus et le modeste objet
de cette contribution est de tenter une
clarification, afin que chacun puisse se faire
une opinion libre et éclairée.
Larticle 1er de la Constitution de la République
Française du 4 octobre 1958 est ainsi rédigé :
« La France est une République indivisible, laïque,
démocratique et sociale. Elle assure légalité
devant la loi de tous les citoyens sans
distinction dorigine, de race ou de
religion. Elle respecte toutes les croyances. Son
organisation est décentralisée ».
Le principe de laïcité, contrairement à ce que
jentends parfois, est donc parfaitement
mentionné dans la Constitution, et à ce titre sapplique
dans son entièreté à tous les territoires de
la République, en ce compris lAlsace et la
Moselle.
Pour mémoire, le Concordat qui agite et provoque
tant de moulinets de bras, ce sont 17 articles
qui constituent un traité, une convention du 15
juillet 1801 (26 Messidor an IX), entre dune
part, le Premier Consul de la République Française,
et dautre part le Souverain Pontife Pie VII
représentant le Saint Siège, lEtat du
Vatican, avec lequel la République Française
entretient et continue au quotidien dentretenir
des relations diplomatiques normales et signe des
traités, comme avec tout Etat souverain.
Ce traité a été ratifié et est devenu loi de
la République le 18 Germinal an X (8 avril
1802), date de sa promulgation par Bonaparte
Premier Consul, lequel ajoute toutefois à ce
Concordat, sans laccord du Saint Siège, 77
articles dits organiques du culte catholique,
oeuvre de Portalis par ailleurs principal
rédacteur du Code Civil outre 44 articles
organiques des cultes protestants et de la
Confession dAugsbourg.
En substance, le Concordat énonce que la
religion catholique, apostolique et romaine, est
celle de la grande majorité des citoyens français,
quelle y sera librement exercée en France,
que son culte en sera public, et quil
respectera la tranquillité publique.
Il y est mentionné que le Premier Consul nomme
les évêques, linstitution canonique leur
étant conférée par le Saint Siège, et les évêques
prêtent serment dobéissance et de fidélité
à la Constitution de la République Française.
Enfin, le Concordat concrétise solennellement la
renonciation à jamais du Saint Siège à
revendiquer les biens ecclésiastiques dont elle
a été dépossédée lors de la Révolution, et
le Gouvernement de la République, corrélativement,
assurant un « traitement convenable » aux évêques
et curés.
Ce concordat et les articles organiques qui laccompagnent,
manifestent la main mise de lEtat sur la
religion, parachevée par le décret impérial du
17 mars 1808 sur lorganisation du culte
israélite.
En 1871 :
LEmpereur Napoléon III est encerclé à
Sedan, et la guerre avec lAllemagne est
perdue. Par le traité préliminaire de
Versailles du 26 février 1871, puis celui de
Francfort (10 mai 1871)3, lAlsace et la
Moselle deviennent terres dEmpire allemand,
et les allemands tout au long de la période dannexion,
soit jusquà la signature du Traité de
Versailles du 28 juin 1919, respecteront le
Concordat qui continue par conséquent de sappliquer
en Alsace et en Moselle.
Le 28 juin 1919 :
Retour à la France des belles provinces. Au préalable,
le 24 novembre 1914, à Thann tout juste
reconquise, le Général proclamait, au nom de la
France éternelle, et sadressant aux
Alsaciens :
« Notre retour est définitif : vous êtes français
pour toujours. La France vous apporte, avec les
libertés quelle a toujours représentées,
le respect de vos libertés à vous, des libertés
alsaciennes, de vos traditions, de vos
convictions, de vos moeurs. Je suis la France,
vous êtes lAlsace : je vous apporte le
baiser de la France ».
Dans lintervalle, entre 1871 et 1919, en
presque un demi-siècle, les allemands ont
appliqué en Alsace Moselle les lois dEmpire,
dans tous les domaines de la vie des gens, et
dont il est admis quelles étaient
socialement et techniquement plus avancées que
le droit français, dans des domaines aussi variés
que le droit du travail, de la sécurité
sociale, des partages, des sûretés, du livre
foncier, etc.
Le 9 décembre 1905, au cours donc de cette période
dannexion de lAlsace et de la Moselle
à lEmpire allemand, intervient la loi,
dite de séparation de lEglise et de lEtat,
dont les deux premiers articles sont ainsi libellés,
sans changement depuis 1905 :
Article 1
La République assure la liberté de conscience.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous
les seules restrictions édictées ci-après dans
lintérêt de lordre public.
Article 2
La République ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte. En conséquence, à
partir du 1er janvier qui suivra la promulgation
de la présente loi, seront supprimées des
budgets de lEtat, des départements et des
communes, toutes dépenses relatives à lexercice
des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits
budgets les dépenses relatives à des services daumônerie
et destinées à assurer le libre exercice des
cultes dans les établissements publics tels que
lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et
prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés,
sous réserve des dispositions énoncées à larticle
3.
Cette loi, en conséquence, pas plus que les
autres publiées entre 1871 et 1919, ne sappliquait
pas en Alsace Moselle.
Le 1er juin 1945,
Deux lois fondamentales sont publiées,
mettant en vigueur les législations civile et
commerciale françaises dans les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Ces lois étaient été précédées, notamment,
dune loi du 17 octobre 1916 relative au régime
transitoire de lAlsace et de la Lorraine,
dont larticle 3 était rédigé comme suit
:
« les territoires dAlsace et de Lorraine
continuent, jusquà ce quil ait été
procédé à lintroduction des lois françaises,
à être régis par les dispositions législatives
et réglementaires qui y sont actuellement en
vigueur ».
Les lois du 1er juin 1924 sont le socle du droit
local, en tant quelles maintiennent tout un
pan de la législation allemande édictée
pendant la période dannexion.
Elle est régulièrement revisitée par le législateur
pour adapter telle ou telle disposition.
Demeure ainsi dans notre droit local, expressément,
« la législation locale sur les cultes et les
congrégations religieuses ». (article 13 loi
1er juin 1924).
Il ny a toutefois pas dans cette
survivance, ou de manière négligeable, de
distorsion du principe de laïcité, sauf à se
faire les zélateurs dune conception étroite,
intégriste, fondamentaliste, de la laïcité, ce
qui ne serait évidemment pas dans la tradition
de tolérance et de concorde.
Légalité qui manime nest pas
luniformité, la liberté nest pas le
laxisme, la fraternité nest pas le
communautarisme,
et la laïcité nest
pas lignorance du fait religieux.
Alors oui, nous stipendions les cultes en Alsace
Moselle, ce qui est parfaitement contraire au
texte de la loi de 1905, mais pas à la laïcité
érigée en principe constitutionnel, et qui en
tant que telle, ne prohibe pas que des subsides
soient versés à des institutions cultuelles.
Le Conseil Constitutionnel, sur question préalable
de constitutionnalité posée par une «Association
pour la promotion et lexpansion de la laïcité»
que lui avait renvoyée le Conseil dEtat, a
dit pour droit, dans sa décision 2012-297 du 21
février
2013 :
décision Conseil Constitutionnel 2012-297 du 21
février 2013
8 fac-similé n°6
« quen proclamant que la France est une République
laïque, la Constitution na pas pour autant
entendu remettre en cause les dispositions législatives
ou réglementaires particulières applicables
dans plusieurs parties du territoire de la République
lors de lentrée en vigueur de la
Constitution, et relatives à lorganisation
de certains cultes et, notamment, à la rémunération
de ministres du culte ». (fermez le ban).
Pour autant, il ne faut ignorer ni lhistoire,
sous peine de la revivre, dit-on, ni la
sociologie :
Jai déjà cité Joffre, je citerai labbé
Wetterlé, qui dans une série de neuf conférences
données en 1915, anticipait avec une grande
clairvoyance, et une actualité criante :
« La question religieuse soulèvera de plus
grands embarras. LAlsace Lorraine a continué
à vivre depuis 1871 sous le régime du Concordat
français de 1801. (
) En France, la loi de
séparation a été longuement préparée. (
)
Or, en Alsace Lorraine (
), la législation
religieuse sest transformée au cours des
44 dernières années, mais ce fut plutôt dans
le sens dune collaboration plus intime
entre lEglise et lEtat (
). Nous
avons été jadis la rançon de la France (
).
Le généralissime Joffre et le Président de la
République M. Raymond Poincaré, (
) à
Thann annoncèrent solennellement aux populations
des pays annexés, que la France respecterait
leurs croyances, leurs coutumes et leurs
traditions. Nous avons donc la parole de la
France, qui, elle, ne déchire pas ses
engagements comme des chiffons de papier ».
Je ne vois pour ma part quun texte qui mériterait
dêtre abrogé au nom de la laïcité :
celui qui réprime le blasphème, et qui subsiste
encore dans notre droit local, mais non pas en
vertu du Concordat, mais dun décret du 25
novembre 1919, jamais abrogé, et qui laisse
subsister les dispositions pénales du Code pénal
local (articles 166 et 167) concernant les
cultes.
Code pénal dAlsace et Moselle, article 166
« Celui qui aura causé un scandale en blasphémant
publiquement Dieu par des propos outrageants ou
aura publiquement outragé un des cultes chrétiens
ou une communauté religieuse établie sur le
territoire de la Confédération et reconnue
comme corporation, ou les institutions ou cérémonies
de ces cultes ou qui, dans une église ou un
autre lieu consacré à des assemblées
religieuses, aura commis des actes injurieux et
scandaleux, sera puni dun emprisonnement de
trois ans au plus »
Code pénal dAlsace et Moselle, article 167
« Celui qui, par voie de fait ou menaces, aura
empêché une personne dexercer le culte dune
communauté religieuse établie dans lEtat
[...], ou qui, dans une église, aura par tapage
ou désordre volontairement empêché ou troublé
le culte ou certaines cérémonies du culte [...]
sera puni dun emprisonnement de trois au
plus ».
Mais une simple loi suffit pour cela, sans
constitutionnaliser pour autant la Loi du 9 décembre
1905 ou toucher au Concordat !
Le coût du Concordat, en 2011, était de 58
millions deuro, soit 0,015 % du budget de lEtat,
epsilonn, moitié moins que la seule subvention
de lEtat à lOpéra de Paris, le
quart du budget du PSG, il est vrai subventionné
par un pays étranger dont il est notoire que la
laïcité lui tient à coeur, et dont je nai
pas lu que nos institutions se soit indignées.
Cest donc un mauvais procès que de laisser
entendre que la laïcité ne sapplique pas
en Alsace Moselle au seul motif que lEtat,
vos impôts contribuent au fonctionnement des
cultes !
Il en va de même, sagissant du toujours
sensible sujet de lenseignement religieux,
obligatoire dans les écoles et collèges, non
pas en vertu du Concordat de 1801, mais dune
ordonnance allemande dite « von Bismarck-Bohlen
» du 18 avril 1871 instituant lobligation
de lenseignement religieux, et donc
maintenue en vigueur par les lois dintroduction.
Au demeurant, la dispense de cet enseignement
religieux obligatoire a toujours été admise et
continue de lêtre, étant du reste expressément
prévue par le décret 74-763 du 3 septembre
19749 : « les parents qui le désirent peuvent
faire dispenser leur enfant de lenseignement
religieux (
) », auquel cas sy
substitue un cours de morale
que notre
ministre actuel, dobédience socialiste me
suis-je laissé dire, Monsieur Vincent PEILLON,
est désireux de voir étendre à tous !
Quand je vous dis que le droit local est source dinspiration
pour le législateur national (cf. aussi livre
foncier, liquidation judiciaire des personnes non
commerçantes, etc.).
Monsieur Eric Sander, secrétaire de lInstitut
du Droit Local a résumé dans une formule
excellente la singularité alsacienne, laquelle nest
pas une exception :
«la laïcité sapplique en Alsace ;
simplement les modalités sont différentes».
Jamais encore je nai entendu les thuriféraires
de la laïcité soffusquer de ce que des
milliers de communes en France, ou de rues,
portent le nom dun Saint de lEglise
catholique, Saint-Cyr, Saint-Louis,
Saint-Etienne, Saint-Tropez, ou que la plupart de
nos jours fériés soient des fêtes religieuses
chrétiennes ainsi nommées (Noël, Pâques,
Toussaint, Pentecôte, Ascension, Assomption
),
Pas davantage ne les ai-je entendu revendiquer la
suppression de nos deux jours fériés religieux
locaux, Saint-Etienne et Vendredi Saint, dont le
coût est loin dêtre négligeable, et qui
pèse sur la collectivité entière.
Au nom de lHistoire, de la tradition, on
accepte ces intolérables atteintes à la laïcité,
et ces offenses permanentes aux croyances dautres
spiritualités, ou aux athées. Eh bien, il en va
de même pour le Concordat : lHistoire le
justifie, le présent limpose.
Le meilleur moyen sinon le seul, de promouvoir
cette laïcité que nous chérissons, ne réside
certainement pas dans une bataille juridique
perdue davance contre le Concordat, en tant
quil serait le vivant symbole dune
chimérique entorse à une laïcité apparemment
mal comprise par ceux qui sauto-érigent en
ses zélateurs.
Cet unique moyen est dune simplicité,
oserai-je dire biblique : que le pouvoir laïque
donne du bonheur et de lespoir aux gens, et
quil soit exemplaire.
Vous savez quoi ? Le Concordat a de beaux jours
devant lui !
Philippe DELECOLLE
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